Sacré Fottorino ! Le beau coup de pied, que le directeur du
Monde balance à ses prédecesseurs, l'ex-trio Minc-Plenel-Colombani. Et à toute la galerie des ancêtres. Trop proche des socialistes,
Le Monde
des années 80 ! Avant de flirter de trop près avec Balladur, dans les
années 90 ! Et toutes ces campagnes de scoops manipulés ! Pif ! Paf !
Prenez-vous ça dans les dents, indignes aïeux qui avez jeté le journal
dans les bras des milliardaires. Evidemment,
comme nous le notions hier,
l'autocritique de l'actuel patron ne va pas jusqu'à revenir sur ses
propres éditoriaux, et à s'interroger sur son propre tropisme sarkozist
e des premiers mois. Quand il assurait que
"les Français" demandaient à Sarkozy d'être
"un président arc-bouté sur son programme de réformes" (18 mars 2008) ou quand il évoquait, lyrique, le rêve de 2007,
"d'un pays (...) libéré de ses carcans sociaux, de ses pesanteurs administratives et, pourquoi pas, de ses tabous égalitaristes" (25 avril 2008) . Cette autocritique-là sera pour 2020.
Le plus significatif, et le plus grave, de l'article de Fottorino est ailleurs:
dans son refus de citer les noms de ceux qu'il attaque. Pas une fois en
effet, il ne nomme ni Minc, ni Colombani, ni Plenel. Les initiés
comprendront. Car l'article codé s'adresse uniquement à eux, à la
poignée d'élus qui suivent le feuilleton depuis le début, n'ont pas
manqué un épisode, et possèdent chez eu
x, dans la bibliothèque, la collection complète enluminée des
turpitudes du
Monde, avec les exemplaires collector (appel à
voter Mitterrand, campagnes contre Roland Dumas, etc). On ne va tout de
même pas s'abaisser à écrire pour les ploucs !
Cet article, fidèle à la grande tradition des homélies du Monde, est
parfaitement représentatif de ce journalisme du surplomb et de
l'entre-soi, ce journalisme de club anglais à boiseries, que le Web a
rendu tragiquement caduc. Car le Web, lui, nomme. Il nomme à tout va.
Pour de nobles ou de vulgaires raisons: pour être référencé dans les
moteurs de recherche, par passion d'être accessibles, compréhensibles,
de gonfler les forums, il nomme, surligne, et multiplie les liens, pour
que l'on puisse juger sur pièces. Il faut imaginer un lecteur, saturé
de noms et de références, débarquant par une faille spatio-temporelle
dans le texte de Fottorino : il a l'impression de se retrouver dans une
salle de musée, en dehors des heures d'ouverture. Pas besoin de longues
analyses médiologiques : s'il s'obstine à pratiquer ce journalisme
d'initiés, l'avenir du
Monde est arithmétiquement programmé.