"Grattez le juge, vous trouverez le bourreau." (Victor Hugo)

En Mélenchon, coexistaient jusqu'à présent le bon client assurant
le spectacle sur les plateaux, et le militant, visant à faire turbuler
le système. Les deux étaient indémêlables. Chabot envoyée au diable,
Pujadas "larbinisé", c'était révolutionnaire et jubilatoire. La
révolution était spectacle, le spectacle était révolution, on était à la
noce. Et puis voilà Mélenchon chez Drucker, pour montrer,
explique-t-il, qu'il n'est pas "la brute" qu'on prétend.
Alors ? Spectacle étrange. Après son passage, le
canapé rouge est toujours debout. Mais c'est l'image de Mélenchon, qui
s'est brouillée. Ne reste de la rencontre que le souvenir désagréable
d'une brute encagée, aux soubresauts presque comiques. Sketch : Sérillon
reproche à Mélenchon l'absence, dans son livre, de toute référence aux
droits de l'homme en Chine. "Pas du tout !" rétorque Mélenchon,
qui chausse ses grosses lunettes de grand méchant loup, et empoigne le
livre, prêt à croquer tout cru le journaliste à travers les barreaux.
Des problèmes de droits de l'homme en Chine ? On va voir ce qu'on va
voir. "A la différence d'autres, c'est moi qui écris mes livres".
Il cherche le passage. Ne le trouve pas. Et empoigne en guise de bouée
une dénonciation vindicative du Gr
and Satan américain, sous le regard goguenard de Sérillon, qui savoure
sa victoire. Coup de grâce: quelques minutes plus tard, Ruquier déboule
sur le plateau. Rires. "Ce n'est pas bien, d'avoir coupé au montage le moment où Mélenchon trouve le passage sur les droits de l'homme" lance l'amuseur (professionnel). Rires encore, aux dépens de l'encagé.
Comment expliquer l'atterrement d'un fan du Mélenchon première manière ?
Peut-être par le franchissement de cette frontière entre ceux qui
acceptent d'aller chez Drucker (entendez : réclament leur part d'amour),
et ceux qui s'obstinent à laisser l'amour hors des plateaux de débat et
des salles de meeting. Consentir à la nécessité supérieure de l'amour,
donc à l'incontournabilité de Drucker, c'est consentir d'avance à
l'Europe-telle-qu'elle-est, aux délocalisations
parce-qu'on-n'a-pas-le-choix, aux bonus des banquiers
parce-qu'ils-sont-moins-élevés-que-ceux-des-Américains, aux diners du
Siècle parce que pourquoi pas ? à tout le cortège d'impératifs
supérieurs inéluctables. S'efforçant de se dépouiller de sa défroque de
brute, comment Mélenchon "foutra-t-il la trouille" aux traders et aux évadés fiscaux ? "Faire de la politique, c'est critiquer les médias" disait Porte
sur notre plateau. Inversement, ranger cette critique dans sa poche est
un renoncement politique, même si ce renoncement est maquillé d'un
brevet de progressisme lourdement délivré à Drucker. Quel type, quand
même, ce Drucker ! Rendez-vous compte, a insisté Mélenchon: "Drucker présente les techniciens au public du studio. Je n'ai pas vu ça souvent sur les plateaux".
Qu'on se le dise, aucune force au monde n'empêchera Mélenchon de faire
l'éloge de Drucker sur le plateau de Drucker. Rendez-nous la brute, en
liberté !

Daniel Schneidermann
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